EXTRAITS DU TEXTE
1.
La consultante – Puis-je vous demander d’ôter votre foulard ?
Nina enlève son foulard.
Puis-je faire une photo ?
Nina acquiesce.
La consultante utilise sa tablette numérique pour faire un portrait photographique. Elle tapote sur sa tablette.
Puis-je vous demander quelle était votre couleur de cheveux auparavant ?
Nina – Blond.
La consultante – Et quelle était votre longueur ?
Nina – Long. Jusqu’aux épaules.
La consultante – Hmm hmm… Bon, bon, bon… Je crois que ça, ça devrait être pas mal.
Elle tapote sur sa tablette.
Le portrait photographique de Nina apparaît sur le grand écran vidéo. Elle est d’abord tête nue.
Pardon, ça n’a pas marché.
La consultante tapote à nouveau sur sa tablette. Le portrait photographique de Nina est soudain paré d’une perruque aux cheveux longs et blonds.
C’est notre modèle Jody Foster. Long, blond, comme vous. Classique et facile à porter. C’est un travail vraiment délicat.
Nina ne dit rien. Un temps.
Puis-je vous demander ce que vous faites dans la vie ?
Nina – Je suis actrice.
2.
Apparition. Chez le boucher. Nina fait la file d’attente. Les Gens se tiennent un peu plus loin dans la file.
Gens 1 – Elle est malade ?
Gens 2 – Oui, cette fille est malade.
Gens 3 – Ce n’est pas normal. Cette fille a quelque chose qui n’est pas normal.
Gens 2 – Cette fille a un cancer.
Gens 1 – Ou un ulcère.
Gens 3 – Cette fille n’est pas saine.
Gens 2 – Oui, elle ne respire pas la santé.
Gens 1 – Si c’était un animal, on ne pourrait même pas la manger.
Gens 3 – Ma mère me disait toujours : tu ne vas pas vers les chats qui ont les yeux collés, le nez qui coule ou des trous dans le pelage. Le poil, c’est la santé…
Gens 2 – Oui, c’est la santé ! C’est même une parure érotique. Connaissez-vous ce poème de Baudelaire intitulé la Chevelure ?
Gens 1 – Bien sûr ! Ça commence comme ça :
Ô toison, moutonnant jusque sur l'encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
Fin de l’apparition.
3.
Chez Nina. Des assiettes avec des restes de gâteaux de pâtisserie. Des tasses de thé vides. Le dictaphone tourne.
Thibault – Pour terminer cet entretien (qui est notre dernier), j’aimerais te laisser un moment dire ce que tu veux à l’enregistreur. Tu es d’accord ?
Nina acquiesce. Thibault se lève et sort. Un temps.
Si ça repoussait vraiment ça me ferait l’effet d’un de ces voyages qu’on fait une fois dans sa vie. On se retrouve dans un pays étranger où les gens parlent une langue étrangère qu’il faut apprivoiser. On est tout seul face à des codes qui sont étrangers à tout ce qu’on a appris. On comprend quelles sont nos ressources nos facultés d’adaptation. On appréhende la vie différemment. Et quand on revient dans son pays natal on est marqué encore par ça… on peut même en subir encore un peu les conséquences. Quand on ouvre la valise il y a encore l’odeur de ce pays étranger. Et petit à petit avec le temps ça s’efface… On revient à nos habitudes. Et ce qui reste de ce voyage, ce sont des souvenirs. Qu’on oublie parfois.